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Le Pain |
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Scène 1 : Couloirs de Kaamelott
Arthur et Léodagan s'apprêtent à entrer dans la salle du Trône.
Arthur : Qui c'est déjà, la prochaine doléance ?
Léodagan soupirant : Je sais plus.
Arthur : Enfin, vous pourriez me dire, quand même !
Léodagan : Je connais pas le registre par cœur, excusez-moi.
Arthur : J'suis désolé, j'aime bien savoir qui c'est qui vient se plaindre !
Léodagan : Qu'est-ce que ça change ? On fait semblant d'écouter, on dit qu'on comprend mais qu'on n'y peut rien, et puis dans une heure, on s'arrête pour aller casser la graine. Pas de besoin de registre.
Ils entrent dans la salle.

Scène 2 : Salle du Trône
Guethenoc se tient face à Arthur et Léodagan.
Guethenoc : Non mais je vous le dis, Sire : cette histoire, ça me fait du mal ! Parce que moi je suis très exigeant avec mes farines, je fais moi-même mes tournées d'inspection chez les meuniers, et avec tout ça, il y a des bruits qui courrent que ce serait à Kaamelott qu'on trouve le plus mauvais pain de Bretagne !
Léodagan : Non mais « le plus mauvais pain de Bretagne », c'est manière de dire. Il faut pas prendre ça au pied de la lettre non plus.
Arthur : Tenez moi je suis sûr par exemple qu'en Irlande, bah le pain il est pire qu'ici.
Léodagan : Ah non, non. L'Irlande, j'y étais la semaine passée : le pain est mauvais mais moins qu'ici quand même.
Guethenoc : Quoi ? Ah mais me dites pas que vous colportez la rumeur, vous aussi !
Léodagan : La rumeur ?
Arthur : Ouais, attendez, il faut quand même dire les choses comme elles sont… Il est dégueu, le pain.
Guethenoc : Mais absolument pas !
Léodagan : Ah si.
Guethenoc très en colère : Mais c'est une honte d'entendre des trucs comme ça !
Arthur : Attendez, je vous signale que nous on s'est jamais plaints ! C'est vous qui venez gueuler !
Léodagan : Et du coup, on se demande bien pourquoi ! Parce que c'est pas de notre faute si votre pain est merdique !
Scène 3 : Salle de la Table Ronde
Guethenoc a apporté quelques échantillons de pain à Arthur et Léodagan. Karadoc est présent, il tient à la main son couteau personnel.
Guethenoc : Regardez. Y'a du froment, de l'orge, du son… Des mélanges uniques au monde ! Il y a même un pain à la farine de châtaignes – c'est pas compliqué – il y a pas mieux.
Arthur : D'accord. Alors, euh... Est-ce que vous connaissez le Seigneur Karadoc ?
Guethenoc : Bien sûr qu'on se connaît. C'est le seul bourgeois de la cour qui achète le pâté à la livre ! Je sais pas si vous vous rendez compte, Sire… à la livre ! Si tout le monde faisait ça, il y aurait plus un paysan malheureux.
Arthur : D'accord. Alors, nous on l'a fait venir parce que bon… c'est vrai que d'un point de vue Chevalerie, faits d'armes, stratégie militaire, tout ça… c'est pas vraiment une... flèche…
Léodagan : Pas exactement, non.
Arthur à Karadoc : Non, on peut le dire, ça ?
Karadoc indifférent : J'ai rien dit, moi !
Arthur : D'accord. Par contre, pour tout ce qui touche la bouffe…
Léodagan : Un kador. Ah non mais là je dois reconnaître… Un Prince de la fourchette. Enfin, sauf qu'il bouffe avec les doigts, mais…
Karadoc : Je crains personne.
Arthur : Voilà. Donc on l'a fait venir pour qu'il goûte votre pain.
Guethenoc : Ah bah écoutez, tant que vous voulez. Moi non plus, je crains personne. Vous pouvez taper dedans, il y a que du haut de gamme.
Karadoc : Alors, j'y vais ?
Arthur : Allez-y.
Karadoc : Je commence par lequel ?
Guethenoc : Celui que vous voulez.
Léodagan : Le plus classique, mettons.
Guethenoc : Le mélange blé-seigle. C'est celui que je vous fournis le plus.
Il présente à Karadoc un morceau de pain. Karadoc mange.
Léodagan : Alors ?
Karadoc : C'est de la merde.
Guethenoc' : Quoi ? (outré) Sire !
Léodagan : Attendez, Karadoc… Soyez pas si catégorique !
Guethenoc : C'est ça votre spécialiste ?
Arthur à Karadoc : Essayez de développer un peu.
Karadoc : Il y a rien à développer : c'est de la merde, c'est tout. Moi, on me sert ça dans une auberge, le tavernier, il prend une quiche dans sa tête.
Scène 4 : Même lieu
Guethenoc : Mais enfin, Seigneur Karadoc, avec tout le pâté que vous m'achetez, me dites pas que vous le mangez sans pain quand même !
Karadoc : Bah non. Vous me prenez pour un con ?
Léodagan : Comment vous faites, alors ?
Karadoc : Je le fais venir d'Aquitaine par bateau dans des containers spéciaux pour pas qu'il sèche.
Guethenoc : Du pain d'Aquitaine ! Sire ! Faites quelque chose ou bien il va y avoir un massacre !
Karadoc : C'est de la merde, c'est de la merde, c'est tout.
Guethenoc : Goûtez-le, Sire, vous qu'êtes impartial ! (Il lui lance un morceau de pain.)
Arthur rattrapant le morceau : Attendez, moi celui-là je le connais.
Guethenoc : Goûtez-le ! Et puis vous me direz si c'est pas une honte d'entendre des choses pareilles.
Arthur et Léodagan goûtent le pain.
Arthur : Ah non, il y a rien à faire…
Léodagan : Déjà, avec le pâté, c'est pas magique mais seul… J'ai l'impression de bouffer mes chaussures.
Guethenoc : C'est un complot !
Arthur : Ah non, ah non ! Ecoutez, on est ici pour essayer avancer.
Léodagan : Karadoc, expliquez-lui.
Karadoc : Ce pain-là, il est cuit trop vite dans un four trop chaud. La montée a pas le temps de se faire et il y a trop d'air dans la mie.
Léodagan : Donc… ?
Karadoc : C'est de la merde.

Scène 5 : Même lieu
Karadoc et Guethenoc sont restés seuls.
Karadoc : Bon allez, Guethenoc, sans rancune ?
Guethenoc : Vous êtes honnête, monsieur Karadoc. J'ai rien à dire à ça.
Karadoc : Allez, je suis sûr que dans un an, vous faites le meilleur pain du pays.
Guethenoc : Merci. Tenez… (Il lui tend un pain.) C'est la recette à la farine de châtaignes, prenez le temps de le goûter chez vous, vous me direz.
Karadoc : Ah mais je le connais déjà, celui-là.
Guethenoc : Et alors ?
L'écran devient noir.
Karadoc (voix off) : C'est de la merde.